Star des régimes végétarien et végétalien, le soja s’est timidement mais progressivement imposé dans notre alimentation ces dernières décennies, en raison notamment de sa richesse en protéines végétales. En occident, on le consomme principalement sous la forme de tofu, lait, yaourt, farine, protéines texturées, etc.
Le 24 mars 2025, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation (ANSES), de l’environnement et du travail a émis un avis déconseillant l’utilisation du soja dans la restauration collective, en raison de la forte teneur en isoflavones des aliments préparés à partir de cette légumineuse. Qu’est-ce que cela signifie ? On fait le point.
C’est quoi le problème avec la consommation de soja exactement ?
Consommé traditionnellement depuis plusieurs millénaires, le soja est un incontournable de la cuisine asiatique. Alors pourquoi de telles précautions prises par l’ANSES en France ? Riches en protéines, le soja l’est également en isoflavones : des molécules dont la structure est proche des œstrogènes -hormones jouant un rôle essentiel dans la reproduction féminine, et qui ont aussi une influence sur la physiologie masculine. Dans son avis, l’ANSES a mis à jour la dose considérée aujourd’hui comme « sans effet toxique » : celle-ci est désormais 100 fois inférieure qu’auparavant (dernier seuil datant d’il y a vingt ans).
En effet, les isoflavones sont considérées comme des phyto-estrogènes, et à ce titre comme de potentiels perturbateurs endocriniens. Comme les œstrogènes dont elles imitent les actions, les phyto-œstrogènes exercent des effets hormonaux féminins chez les êtres qui les consomment régulièrement. Elles ciblent différents organes et fonctionnements physiologiques : cerveau, tissus impliqués dans la reproduction humaine (ovaires, testicules, glandes mammaires, vagin, utérus), fœtus en développement, tube digestif, os, peau… Leurs propriétés sont d’ailleurs mises à profit pour accompagner plus « naturellement » les symptômes de la ménopause et compenser la baisse de la production d’œstrogènes chez les femmes ménopausées. Positives dans certains cas, elles peuvent s’avérer nocives dans d’autres où elles agissent comme des perturbateurs endocriniens, en particulier chez les nourrissons, les enfants, les hommes ou les personnes présentant des pathologies liées aux estrogènes.
Comme pour tout polluant, les conséquences de l’exposition aux isoflavones dépend de nombreux paramètres. La « fenêtre d’exposition » en fait partie. Ainsi, chez les nourrissons âgés de 4 mois à 1 an, l’ingestion en grande quantité de phyto-estrogènes peut entraîner des perturbations qui seront visibles à l’âge adulte : développement de fibromes, d’endométriose, influence sur la fonction sexuelle et sur la reproduction (règles abondantes et douloureuses chez les femmes, réduction de la production de sperme chez les hommes, perturbation de la fonction thyroïdienne et aggravation des hypothyroïdies préexistantes, etc.
Pourquoi les seuils de recommandations de consommation sont débattus ?
- Raison n°1 : Une difficulté à évaluer la réelle consommation de soja, notamment en raison du soja « caché ».
De nombreux plats préparés et produits ultratransformés (notamment les moins chers d’une gamme) contiennent du soja « caché », utilisé comme ingrédient et perdu dans la liste des composants sur les étiquettes. Les isoflavones du soja caché dans les nuggets, les burgers, les kebabs, les boulettes de viande, les paupiettes de veau, les poissons panés, s’ajoutent ainsi à celles contenues dans les aliments de soja. En prenant en compte qu’au cours des dix dernières années, de nombreux Français ont végétalisé leur alimentation (la consommation de soja en France a progressé de 15 % par an depuis 2000), l’ANSES estime que le niveau de dépassement des doses sans effet par la population est donc sans doute aujourd’hui plus important qu’estimé. En plus de le déconseiller dans la restauration collective, l’ANSES demande donc aussi aux industriels de revoir leurs procédés de fabrication pour proposer des produits de soja avec des teneurs réduites en isoflavones. - Raison n°2 : La consommation de soja n’est pas proportionnelle au taux d’isoflavones analysés dans les urines. En effet, il s’avère que la première analyse pour définir la dose « sans effet toxique » avait surestimée les concentrations urinaires d’isoflavones des populations asiatiques : estimées à 60-80mg/jour, l’exposition ne dépasserait en réalité que rarement 20 mg/jour[1] pour un adulte ou un enfant. En d’autres termes, ce n’est pas parce que le soja est à la base de nombreux plats asiatiques que leurs consommateurs ingèrent de grandes quantités d’isoflavones. En effet, les pratiques culinaires traditionnelles asiatiques, qui sont toujours en usage au sein des familles, réduisent les teneurs en isoflavones dans le soja grâce à diverses étapes de préparation (rinçages, trempages et mijotages dans l’eau). En Occident, l’industrialisation des procédés de fabrication des produits à base de soja n’inclut pas ces étapes, ce qui implique des taux d’isoflavones supérieurs.
- Raison n°3 : Les effets des isoflavones sur la reproduction ne suivent pas une relation dose-effet linéaire (ce qui est aussi le cas d’autres perturbateurs endocriniens).
[1] Ces doses, bien que plus modestes, sont cependant bien au-delà des valeurs retenues par l’Anses. Ce qui amène à se questionner sur de potentiels effets sur ces populations, au-delà des idées reçues sur l’absence d’effet du soja.
Compte tenu du manque d’information sur les concentrations en isoflavones dans les aliments, du fait qu’il est aujourd’hui impossible de déterminer précisément l’exposition des consommateurs et que les effets des isoflavones, comme ceux d’autres perturbateurs endocriniens ne suivent pas une dose-réponse linéaire, les experts de l’ANSES ont choisi des valeurs très sécuritaires pour déterminer les nouvelles doses sans effet : l’agence considère désormais que la valeur toxique de référence des isoflavones est de 0,02 mg/kg/j pour la population générale, et de 0,01 mg/kg/j pour les femmes et les enfants[2], soit :
- 1,6 mg/j pour un homme de 80 kg
- 0,6 mg/j pour une femme de 60 kg
- 0,3 mg/j pour un enfant de 30 kg
…alors que l’ANSES estime l’exposition globale aux isoflavones de la population française en 2024 à ~9 mg/j !
[2] Pour fixer la nouvelle dose sans effet nocif pour l’être humain, l’Anses s’est appuyée sur deux études de toxicologie menées en 2008 et en 2009 sur des rats. La première a été réalisée aux États-Unis par le service national de toxicologie et selon les règles établies par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Dans la seconde étude menée en France (et non conforme aux règles de l’OCDE), les experts ont retenu des malformations des testicules des mâles et une altération de leur reproduction quand ils étaient exposés in utero à une dose d’isoflavones d’un mg/kg/j, même si cet effet n’avait pas été observé dans l’autre étude.
Quelles précautions prendre et comment bien préparer le soja pour préserver sa santé ?
Pour tendre vers ces valeurs, il faut considérer une consommation occasionnelle de soja à titre individuel, tout en incitant les industriels à revoir les procédés de transformation du soja en ajoutant des étapes de traitement à l’eau pour réduire les teneurs en isoflavones et à mentionner le taux d’isoflavones sur les aliments. Mieux, on peut aussi s’inspirer des méthodes asiatiques traditionnelles pour diminuer la teneur en isoflavones des aliments à base de soja : choisir des graines de soja dépelliculées, les faire tremper 12-16h et changer l’eau de trempage, etc.
Par ailleurs, d’autres études[1] ont également prouvé que les phytoœstrogènes peuvent avoir un effet positive sur la santé : elles permettent non seulement de remplacer les traitements hormonaux substitutifs sur certains symptômes de la ménopause (bouffées de chaleur, insomnie, irritabilité, baisse de libido et sécheresse vaginale) grâce à leurs principes actifs mimant l’action des œstrogènes, mais qu’elles réduisent également l’occurrence des cancers hormono-dépendants (sein, utérus, prostate) si elles sont consommées avant la ménopause ou l’andropause. En effet, en entrant en compétition avec l’hormone classique œstradiol, elles ont un effet régulateur en cas d’excès d’œstrogènes. Elles sont par contre contrindiquées en cas de cancer hormono-dépendant déclaré ou avec un antécédent (personnel ou familial), et à éviter en cas de grossesse ou d’allaitement, d’hypothyroïdie ou d’hyperandrogénie, ou pour les enfants en bas âge. Les consommateurs doivent donc être vigilants et adapter leur consommation en fonction de leur situation individuelle et familiale.
[1] Source : S. Patra, S. Gorai, S. Pal, K. Ghosh, S. Pradhan, S. Chakrabarti, « A review on phytoestrogens : Current status and future direction » 2023 Jul ;37(7) :3097-3120 et M. Torrens-Mas et P. Roca, « Phytoestrogens for Cancer Prevention and Treatment », Biology, nov. 2020
Tout est donc une question de juste mesure, d’individualisation et de la manière dont on prépare le soja !
Astuce : réduire le taux de phyto-estrogènes dans un tofu du commerce
Pas le temps de faire votre propre tofu ? Celui acheté dans le commerce peut être rincé pour éliminer une partie des phyto-estrogènes qu’il contient. Cela ne permet pas de réduire ces derniers au même taux qu’en faisant votre tofu maison, mais on atteint des niveaux acceptables pour une consommation sans risque. Pour cela, mettez 1 litre d’eau du robinet dans un saladier et plongez-y une portion de tofu ferme du commerce. Remuez l’eau délicatement avec une cuillère au bout de 5 minutes de trempage. Après 10 minutes, égouttez le tofu en éliminant l’eau de trempage, puis recommencez l’opération plusieurs fois.
Le tableau ci-dessous montre l’effet de plusieurs rinçages de 10 minutes dans l’eau sur les teneurs en phyto-estrogènes d’un tofu commercial.
Teneur en phyto-estrogènes du tofu en fonction du rinçage
|
Sans rinçage |
Avec 1 rinçage |
Avec 2 rinçages |
Avec 3 rinçages |
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TOFU pour 100 g |
27,2 mg |
18,38 mg |
13,81 mg |
13,06 mg |
Source : https://theconversation.com/fr
N’hésitez pas à me contacter si vous avez des questions 🙂
Prenez soin de vous et écoutez (vraiment) votre corps !
Tout naturellement,
Lise

